Nuire à la bêtise

"Ces philosophes-là ont su nuire à la bêtise", Nietzsche, Gai savoir, § 328 - Blog philo d'Emmanuel Ferraguti.

Pour les TL : Arendt sur les rapports Histoire/Nature chez Kant

Je vous rappelle que ce texte est cité et commenté en cours en rapport avec le § 2 de Qu'est-ce que les Lumières ?

"Chez kant, l'histoire fait partie de la nature ; son sujet est l'espèce humaine entendue comme élément de la création, même si elle en est, pour ainsi dire, la fin ultime et le couronnement. Ce qui est important dans l'histoire, dont il ne négligea jamais le cours tâtonnant et l'attristante contingence, ce ne sont pas les histoires, ce ne sont pas les individus historiques, ni rien de ce que les hommes ont accompli en bien ou en mal, mais la ruse secrète de la nature qui a poussé l'espèce à progresser et à développer toutes ses potentialités dans la suite des générations. La durée d'une existence individuelle est trop brève pour qu'elle puisse déployer toutes les qualités et toutes les possibilités humaines ; par conséquent, l'histoire de l'espèce est le processus au cours duquel "tous les germes que la nature a placés en elle pourront être pleinement développés et où sa destiné ici-bas sera pleinement remplie" (Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique). Telle est l'"histoire du monde", envisagée par analogie avec le développement organique de l'individu - l'enfance, l'adolescence, la maturité. Kant ne s'intéresse jamais au passé ; ce qui le préoccupe, c'est le futur de l'espèce. L'homme n'est pas chassé par un Dieu vengeur parce qu'il a commis le péché, il est poussé par la nature qui l'exile du sein maternel et le chasse ensuite hors du jardin d'Eden, de l'"existence d'innocence enfantine tranquille" (Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine). Tels sont les débuts de l'histoire ; son processus est le progrès, et le résultat de ce processus est parfois appelé culture, parfois liberté ("de la tutelle de la nature à l'état de liberté" ibid.) ; une fois seulement, comme en passant, dans une parenthèse, Kant indique qu'il s'agit d'accomplir "la fin essentielle de la destinée humaine, à savoir la sociabilité (Geselligkeit)". Hannah ARENDT, Juger. Sur le philosophie politique de Kant. pp. 23-24.

Foucault parle de la mort de l'homme



Ecoutez Michel Foucault parler de la mort de l'homme sur Youtube (cliquez sur youtube pour être redirigé).

Faut-il s'abstenir de penser pour être heureux ?

Faut-il / s’abstenir / (de) penser / (pour être) heureux ?
Devoir /Eviter / Réfléchir / Joie
Tentation / S’arrêter / Faire des choix / Plaisir
Pouvoir / S’interdire / Morale / Jouissance
Arrive-t-on ? / S’empêcher / Cerveau / Imaginer
Peu-t-on ? Se refuser / Raisonner / Accomplissement
Obligation-contrainte / Se retenir / Science-savoir / Bonne intelligenceDroit-Fait / Ne pas céder / Entendre / PaixNécessaire – possible – contingent / Faire front -résister /Entendement / Harmonie






1. Je commence à noter toutes les idées qui (me) viennent face au champ sémantique :

- La question de la volonté. La question de la possibilité.

- Le « faut-il » implique un devoir-être (question de droit) ; il y aurait un devoir à ne pas, à s’abstenir de… (ce qui implique que, dans les faits, la chose soit possible)- L’énoncé semble vouloir faire tenir ensemble deux domaines difficilement compatibles, voire antithétiques : le devoir, la morale, et la pensée, la science (Obscurités/Lumières ; superstitions/savoir ; Révélation/lumière naturelle).- La morale est du domaine de la valeur (droit) tandis que la science est du domaine du fait ; la morale présuppose la liberté de faire ou ne pas faire (libre arbitre), tandis que la science travaille dans le domaine de la nécessité du fait (chute d’un corps) ou de la loi (gravitation universelle).- Les trois termes s’abstenir/penser/être heureux semblent impliquer une relation de causalité entre l’abstention (morale) et le bonheur.
- S’abstenir de penser (cause) produirait un effet (le bonheur)…- Il y aurait là une relation de causalité… pourtant le caractère moral de l’énoncé (faut-il) semble impliquer que le problème ne se pose pas au niveau d’une nécessité logique/démonstrative ou physique (raison/démonstration) – c’est « faut-il » et non « est-ce possible ? » ou bien « Peut-on ? ».
- Nous sommes du côté de la norme et non du fait.- Si je dis que le cercle est non-circulaire (A = non-A) il y a impossibilité logique au cœur même de l’énoncé (c’est un énoncé qui se détruit lui-même).
- C’est un énoncé possible en fait, mais logiquement illégitime, impossible. En fait possible, mais en droit impossible.- La relation de causalité entre « s’abstenir [de penser]» et « être heureux » semble n’être qu’une apparence, une illusion, de causalité (causalité/finalité).- Cause/fin. Est-ce à dire qu’il faut faire une lecture finaliste de l’énoncé pour lui conférer un sens acceptable, pour lui conférer une signification acceptable - pour rendre pensable le lien qui unirait le fait-qui-n’en-est-pas-un (puisque la question est de droit) de penser et celui d’être, ou non, heureux.
- N’est-ce pas la tentation même de la pensée irrationnelle, religieuse, des croyances, de la superstition de mettre la norme (le prescriptif) et le fait (la nécessité logique ou physique) sur le même terrain, de les confondre.
- ce terrain, n’est-ce pas celui-là même de la volonté/liberté ?
- les problèmes sous-jacents sont ceux de la liberté de la volonté (pas de morale sans cette possibilité) ; de la liberté tout court ; du commencement, de l’autorité. Je résume la première difficulté (elle formera probablement, une fois développée de manière satisfaisante, le contenu de ma première partie) : le problème se pose en terme de causalité (une cause produirait un effet), mais les termes impliqués imposent une lecture en terme de finalité pour que la question « faut-il » ait un sens (c’est la finalité qui oriente, non la causalité).
- Le mélange des deux pose problème : on comprend sans grande difficulté que l’énoncé propose un contenu moral qui relève de la finalité sous la forme logico-physique, démonstrative, qui relèverait de la causalité (il y a mélange des genres).
- s’abstenir de penser (cause) ne peut produire que s’abstenir de penser (effet) ; généralement cet effet se nomme idiotie, inconscience (et non joie ou bonheur).
- à moins que l’acte de s’abstenir (dimension morale) soit lui-même l’effet d’une cause (commandement) antécédente ; cause qui s’accompagnerait de la promesse du bonheur.
- Nous quittons alors le domaine de la causalité pour entrer dans celui de la récompense (le faut-il s’explique mieux ainsi).
- Causalité/Récompense-Rétribution/Finalité.
- Répondre à cette question sans s’interroger préalablement sur sa légitimité serait périlleux et très naïf.
- Comment une décision morale (s’abstenir de penser – d’ailleurs qui est le sujet ? un individu, un groupe, tous les hommes ?)) peut-elle produire un état dans le monde (bonheur), si ce n’est en recourant à une volonté (rétribution/finalité) dont la fin, l’objet, le but, la volonté n’est pas la science, le savoir, la connaissance (c’est le thème que l’on trouve dans la Genèse), mais l’obéissance, la puissance.
- Je retombe sur le même problème : la relation qui unit le fait de ne pas penser (cause) et celui d’être heureux (effet) implique une relation de causalité quand le « faut-il » implique de la finalité, de la normativité.
- Comment concevoir que s’abstenir de penser puisse nous rendre heureux autrement que comme récompense pour le respect d’un interdit (Adam et Eve).
- S’abstenir de penser peut rendre heureux si (conséquence morale) penser – faire science – est interdit et que le respect de cet interdit est récompensé (ou sa transgression punie).

- Problème : cette conception des rapports entre pensée et bonheur implique une définition du bonheur (« être heureux ») comme récompense/obéissance ».
- Dans ce cas il faut mettre préalablement en place l’idée (ici le présupposé) de la création comme portant intrinsèquement (en elle-même) le projet de l’obéissance inconditionnelle de la créature, la soumission irréfléchie, inconsciente, à l’autorité du Créateur, pour que la fausse relation de causalité entre un acte comme « s’abstenir de penser » et un effet comme « être heureux » ait un sens dans le monde (nous rendre heureux).
- De ce point de vue le bonheur (sa possibilité effective) ne réside pas tant dans le fait de « s’abstenir de penser » que dans la volonté divine de récompenser ceux qui la respectent.
- Ce n’est [donc] pas le devoir de nous « abstenir de penser » qui nous rendrait « heureux », mais le fait d’obéir à Celui qui possède le pouvoir de nous rendre heureux ou malheureux selon que nous obéissons ou non à sa volonté.
- Si un tel être existe, quoi qu’il commande, il est souhaitable de lui obéir (la première vertu est l’obéissance).
- Interroger l’exemple d’Abraham qui obéit jusqu’à l’absurde.
- Le problème de cette décision (pousser la foi jusqu'à l'absurde) est qu'elle implique un acte irrationnel qui la place hors du champ de la rationalité humaine.
- la raison est-elle pour autant condamnée à se taire ?

TRANSITION : C'est la notion de Volonté (et dans le même temps celle de responsabilité) qui semble prendre le pas sur l'opposition Finalité/Causalité (opposition problématisée par la notion de récompense/punition). Volonté divine (finalité de la création), volonté du créateur, contre volonté individuelle de la créature. La question de la liberté et de l'orientation de notre volonté s'impose d'elle-même. S'il ne s'agit que d'obéir nécessairement (cause - effet), notre bonheur est un effet (une direction toute tracée, une nécessité, une nature) et non une récompense (on ne récompense pas un ange). C'est bien parce que la possibilité de prendre une décision contraire (penser par soi-même) existe que la récompense a un sens pour l'homme (elle présuppose le libre-arbitre), fait sens (le dieu de l'Ancien Testament nous récompense d'obéir à sa volonté - ce n'est pas tant le fait de s'abstenir de penser qu'Il récompense que celui de Lui obéir - la récompense c'est ce sens même... lui obéir donne un sens à ce qui, sans elle, n'en aurait pas - Nietzsche, L'insensé !). Abraham manifeste sa foi en obéissant jusqu'à l'absurde parce qu'il est libre de ne pas obéir, parce qu'il a de bonnes raisons (humaines) de refuser ce sacrifice. S'abstenir c'est un acte de volonté, une décision morale, non le résultat d'un raisonnement. Volonté-croyance contre vontre-entendement ? L'entendement travaille dans la nécessité (démonstration) quand la volonté travaille dans le la liberté (au kantien : commencer une nouvelle série radicale). L'entendement préfère la nécessité (démonstrative) à la liberté/autorité - celle-ci est le domaine de la volonté. Je commence à comprendre qu'au problème causalité/finalité/récompense-punition, je vais substituer (pour ma deuxième partie) celui-ci : volonté/entendement/liberté. Le probléme se déplace de la volonté du créateur vers celle de la créature et le bonheur n'est plus une récompense (ou son absence une punition), une rétribution, provenant du créateur, mais un état (affectif, intellectuel) de l'homme dans le monde. Nous voici revenu au niveau même des relations entre volonté et entendement.
comment soutenir l'idée qu'une décision morale (s'abstenir de penser) pourrait produire un état (affectif ou intellectuel d'un individu, d'un groupe d'individus ou de tous les individus) dans le monde, le produire comme la cause l'effet, sans faire intervenir une volonté toute puissante et l'idée du bonheur comme récompense dépendant de cette volonté ?
Deuxième problème/moment : Les rapports entre volonté et entendement.

Nietzsche, L'Antéchrist (extrait).



9. C’est à cet instinct théologique que je fais la guerre : j’ai trouvé ses traces partout ! Celui qui a du sang de théologien dans les veines, se trouve de prime abord dans une fausse position à l’égard de toutes choses, dans une position qui manque de franchise. Le pathos qui s’en émane s’appelle la foi : fermer les yeux une fois pour toutes devant soi-même pour ne pas souffrir de l’aspect d’une fausseté incurable. On se fait en soi-même de cette défectueuse optique une morale, une vertu, une sainteté, on relie la bonne conscience à une vision fausse, on exige qu’aucune autre sorte d’optique n’ait plus de valeur, après avoir faite sacro-sainte la sienne propre, avec les noms de « Dieu », « salut », « éternité ». Partout encore j’ai mis à jour l’instinct théologique : c’est la forme la plus répandue de la fausseté sur la terre, la forme vraiment souterraine de la fausseté. Ce qu’un théologien éprouve comme vrai, doit être faux : c’est presque un critérium de la vérité. C’est son plus inférieur instinct de conservation qui lui interdit de mettre la réalité en honneur, ou de lui donner la parole en un point quelconque. Les évaluations sont renversées partout où atteint l’influence théologique et les concepts « vrai » et « faux » sont nécessairement renversés : « vrai » c’est dans ce cas ce qui est le plus pernicieux pour la vie, ce qui l’élève, la surhausse, l’affirme, la justifie et la fait triompher s’appelle « faux » .. S’il arrive que les théologiens, par la « conscience » des princes (ou des peuples), étendent les mains vers la puissance, ne doutons pas de ce qui se passe chaque fois au fond : la volonté de la fin, la volonté nihiliste veut obtenir le pouvoir..."

Les onze textes de FOUCAULT - La volonté de savoir. Droit de mort et pouvoir sur la vie.


Je mets en ligne la retranscription des textes de Foucault pour l'oral du baccalauréat.


Texte 1, pp. 7-8.

Le droit de vie et de mort tel qu’il se formule chez les théoriciens classiques en est une forme déjà considérablement atténuée. Du souverain à ses sujets, on ne conçoit plus qu’il s’exerce dans l’absolu et inconditionnellement, mais dans les seuls cas où le souverain se trouve exposé dans son existence même : une sorte de droit de réplique. / est-il menacé par des ennemis extérieurs, qui veulent le renverser ou contester ses droits ? Il peut alors légitimement faire la guerre, et demander à ses sujets de prendre part à la défense de l’Etat ; sans « se proposer directement leur mort », il lui est licite d’ « exposer leur vie » : en ce sens, il exerce sur eu un droit « indirect » de vie et de mort. Mais si c’est l’un d’eux qui se dresse contre lui et enfreint ses lois, alors il peut exercer sur sa vie un pouvoir direct : à titre de châtiment il le tuera. Ainsi entendu, le droit de vie et de mort n’est plus un privilège absolu : il est conditionné par la défense du souverain, et sa survie propre. Faut-il le concevoir avec Hobbes comme la transposition au prince de droit que chacun posséderait à l’état de nature de défendre sa vie au prix de la mort des autres ? Ou faut-il y voir un droit spécifique qui apparaît avec la formation de cet être juridique nouveau qu’est le souverain ? De toute façon le droit de vie et de mort, sous cette forme moderne, relative et limitée, comme sous sa forme ancienne et absolue, est un droit dissymétrique. Le souverain n’y exerce son droit sur la vie qu’une faisant jouer son droit de tuer, ou en le retenant ; il ne marque son pouvoir sur la vie que par la mort qu’il est en mesure d’exiger. Le droit qui se formule comme « de vie et de mort » est en fait le droit de faire mourir ou de laisser vivre.

Texte 2, pp. 11-12.

On pourrait dire qu’au vieux droit de faire mourir ou de laisser vivre s’est substitué un pouvoir de faire vivre ou de rejeter dans la mort. C’est peut être ainsi que s’explique cette disqualification de la mort que marque la désuétude récente des rituels qui l’accompagnaient. Le soin qu’on met à esquiver la mort est moins lié à une angoisse nouvelle qui la rendrait insupportable pour nos société qu’au fait que les procédures de pouvoir n’ont pas cessé de s’en détourner. / Avec le passage d’un monde à l’autre, la mort était la relève d’une souveraineté terrestre par une autre, singulièrement plus puissante ; le faste qui l’entourait relevait de la cérémonie politique. C’st sur la vie maintenant et tout au long de son déroulement que le pouvoir établi ses prises ; la mort en est la limite, le moment qui lui échappe ; elle devient le point le plus secret de l’existence, le plus « privé ». / Il ne faut pas s’étonner que le suicide – crime autrefois puisqu’il était une manière d’usurper sur le droit de mort que le souverain, celui d’ici-bas ou celui de l’au-delà, avait seul le droit d’exercer – soit devenu au cours du XIXe siècle une des premières conduite à entrer dans le champ de l’analyse sociologique ; il faisait apparaître aux frontières et dans les interstices du pouvoir qui s’exerce sur la vie, le droit individuel et privé de mourir. Cette obstination à mourir, si étrange et pourtant si régulière, si constante dans ses manifestations, si peu explicable par conséquent par des particularité ou accidents individuels, fut un des premiers étonnements d’une société où le pouvoir politique venait de se donner pour tache de gérer la vie.

Texte 3, pp. 15-16.

On sait combien de fois a été posé la question du rôle qu’a pu avoir, dans la toute première formation du capitalisme, une morale ascétique ; mais ce qui s’est passé au XVIIIe siècle dans certains pays d’occident, et qui a été lié par le développement du capitalisme, est un phénomène autre et peut-être d’une plus grande ampleur que cette nouvelle morale, qui semblait disqualifier le corps ; ce ne fut rien de moins que l’entrée de la vie dans l’histoire – je veux dire l’entrée des phénomènes propres à la vie de l’espèce humaine dans l’ordre de savoir et du pouvoir – dans le champ des techniques politiques. Il ne s’agit pas de prétendre qu’à ce moment-là s’est produit le premier contact de la vie et de l’histoire. Au contraire, la pression du biologique sur l’historique était restée pendant des millénaires extrêment forte ; l’épidémie et la famine constituaient les deux grandes formes dramatiques de ce rappoort qui demeurait ainsi placé sous le signe de la mort ; par un processus circulaire, le développement économique et principalement agricole du 18e siècle, l’augmentation de la productivité et des ressources encore plus rapide que la croissance démographique qu’elle favorisait, ont permis que se desserre un peu ces menaces profondes : l’ère des grands ravages de la faim et de la peste – sauf quelques résurgences – est close avant la Révolution française ; la mort commence à ne plus harceler directement la vie.


Texte 4, pp. 16-17.

Pour la première fois sans doute dans l’histoire, le biologique se réfléchit dans le politique ; le fait de vivre n’est plus ce soubassement inaccessible qui n’émerge que de temps en temps, dans le hasard de la mort et sa fatalité ; il passe pour une part dans le champ de contrôle du savoir et d’intervention du pouvoir. Celui-ci n’aura plus affaire seulement à des sujets de droit sur lesquels la prise ultime est la mort, mais à des êtres vivants, et la prise qu’il pourra exercer sur eux devra se placer au niveau de la vie elle-même ; c’est la prise en charge de la vie, plus que la menace du meurtre, qui donne au pouvoir son accès jusqu’au corps. Si on peut appeler « bio-histoire » les pressions par lesquelles les mouvements de la vie et les processus de l’histoire interfèrent les uns avec les autres, il faudrait parler de « bio-politique » pour désigner ce qui fait entrer la vie et ses mécanismes dans le domaine des calculs explicites et fait du pouvoir-savoir un agent de transformation de la vie humaine ; ce n’est point que le vie est été exhaustivement intégrée à des techniques qui la dominent et la gèrent ; sans cesse elle leur échappe. Hors du monde occidental, la famine existe, à une échelle plus importante que jamais ; et les risques biologiques encourus par l’espèce sont peut-être plus grands, plus graves en tout cas, qu’avant la naissance de la microbiologie. Mais ce qu’on pourrait appeler le « seuil de modernité biologique » d’une société se situe au moment où l’espèce entre comme enjeu dans ses propres stratégies politiques. L’homme, pendant des millénaires, est resté ce qu’il était pour Aristote : un animal vivant et de plus capable d’une existence politique ; l’homme moderne est un animal dans la politique duquel sa vie d’être vivant est en question.

Texte 5, p. 18.

Une autre conséquence de ce développement du biopouvoir, c’est l’importance croissante prise par le jeu de la norme aux dépens du système juridique de la loi. La loi ne peut pas ne pas être armée, et son arme, par excellence, c’est la mort ; à ceux qui la transgressent, elle répond, au moins à titre d’ultime recours, par cette menace absolue. La loi se réfère toujours au glaive. Mais un pouvoir qui a pour tache de prendre la vie en charge aura besoin de mécanismes continus, régulateurs et correctifs. Il ne s’agit plus de faire jouer la mort dans le champ de la souveraineté, mais de distribuer le vivant dans un domaine de valeur et d’utilité. Un tel pouvoir a à qualifier, à mesurer, a apprécier, à hiérarchiser, plutôt qu’à se manifester dans son état meurtrier ; il n’a pas à tracer la ligne qui sépare, des sujets obéissants, les ennemis du souverain ; il opère des distributions autour de la norme. Je ne veux pas dire que la loi s’efface ou que les institutions de justice tendent à disparaître ; mais que la loi fonctionne toujours davantage comme une norme, et que l’institution judiciaire s’intègre de plus en plus à un continuum d’appareils (médicaux, administratifs, etc.) dont les fonctions sont surtout régulatrices. Une société normalisatrice est l’effet historique d’une technologie de pouvoir centrée sur la vie. Par rapport aux sociétés que nous avons connues jusqu’au 18e siècle, nous sommes entrés dans une phase de régression du juridique ; les constitutions écrites dans le monde entier depuis le Révolution française, les codes rédigés et remaniés, tout une activité législative permanente et bruyante ne doivent pas faire illusion : ce sont là les formes qui rendent acceptable un pouvoir essentiellement normalisateur.

Texte 6, p. 19.

Sur ce fond, peut se comprendre l’importance prise par le sexe comme enjeu politique. C’est qu’il est à la charnière des deux axes le long desquels s’est développée toute la technologie politique de la vie. D’un côté il relève des disciplines du corps : dressage, intensification et distribution des forces, ajustement et économie des énergies. De l’autre, il relève de la régulation des populations, par tous les effets globaux qu’il induit. Il s’insère simultanément sur les deux registres ; il donne lieu à des surveillance infinitésimales, à des contrôles de tous les instants, à des aménagements spatiaux d’une extrême méticulosité, à des examens médicaux ou psychologiques indéfinis, à tout un micro-pouvoir sur le corps ; mais il donne lieu aussi à des mesures massives, à des estimations statistiques, à des interventions qui visent le corps social tout entier ou des groupes pris dans leur ensemble. Le sexe est accès à la fois à la vie du corps et à la vie de l’espèce. On se sert de lui comme matrice des disciplines et comme principes des régulations. C’est pourquoi, au XIXe siècle, la sexualité est poursuivie jusque dans le plus petit détail des existences ; elle est traquée dans les conduites, pourchassée dans les rêves ; on la suspecte sous les moindres folies, on la poursuit jusque dans les premières années de l’enfance ; elle devient le chiffre de l’individualité, à la fois ce qui permet de l’analyser et ce qui rend possible de la dresser. Mais on la voit aussi devenir thème d’opérations politiques, d’interventions économiques (par des incitations ou des freins à la procréation), des campagnes idéologiques de moralisation ou des responsabilisation : on la fait valoir comme indice de force d’une société, révélant aussi bien son énergie politique que sa vigueur biologique. D’un pôle à l’autre de cette technologie du sexe, s’échelonne toute une série de tactiques diverses qu combinent selon des proportions variées l’objectif de la discipline du corps et celui de la régulation des populations.

Texte 7, pp. 22-23.

Sade et les premiers eugénistes sont contemporains de ce passage de la « sanguinité » à la « sexualité ». Mais alors que les premiers rêves de perfectionnement de l’espèce font basculer tout le problème du sang dans une gestion fort contraignante du sexe ( art de déterminer les bons mariages, de provoquer les fécondités souhaitées, d’assurer la santé et la longévité des enfants), alors que la nouvelle idée de race tend à effacer les particularités aristocratiques du sang pour ne retenir que les effets contrôlables du sexe, Sade reporte l’analyse exhaustive du sexe dans les mécanismes exaspérés de l’ancien pouvoir de souveraineté et sous les vieux prestiges entièrement maintenus du sang ; celui-ci court tout au long du plaisir - sang du supplice et du pouvoir absolu, sang de la caste qu’on respecte en soi et qu’on fait couler pourtant dans les rituels majeurs du parricide et de l’inceste, sang du peuple qu’on répand à merci puisque celui qui coule dans ses veines n’est même pas digne d’être nommé. Le sexe chez Sade est sans norme, sans règle intrinsèque qui pourrait se formuler à partir de sa propre nature ; mais il est soumis à la loi illimitée d’un pouvoir qui lui-même ne connaît que la sienne propre ; s’il lui arrive de s’imposer par jeu l’ordre des progressions soigneusement disciplinées en journées successives, cet exercice le conduit à n’être plus que le point pur d’une souveraineté unique et nue : droit illimité de la monstruosité toute-puissante. Le sang a résorbé le sexe.

Texte 8, pp. 24-25.

De différentes manières, la préoccupation du sang et de la loi a hanté depuis près de deux siècles la gestion de la sexualité. Deux de ces interférences sont remarquables, l’une à cause de son importance historique, l’autre à cause des problèmes théoriques qu’elle pose. Il est arrivé, dès la seconde moitié du XIXe siècle, que la thématique du sang ait été appelée à vivifier et à soutenir de toute une épaisseur historique le type de pouvoir politique qui s’exerce à travers les dispositifs de sexualité. Le racisme se forme en ce point (le racisme sous sa forme moderne, étatique, biologisante) : toute une politique du peuplement, de la famille, du mariage, de l’éducation, de la hiérarchisation sociale, de la propriété, et une longue série d’interventions permanentes au niveau du corps, des conduites, de la santé, de la vie quotidienne ont reçu alors leur couleur et leur justification du souci mythique de protéger la pureté du sang et de faire triompher la race. Le nazisme a sans doute été la combinaison la plus naïve et la plus rusée – et ceci parce que cela – des phantasmes du sang avec les paroxysmes d’un pouvoir disciplinaire. Une mise en ordre eugénique de la société, avec ce qu’elle pouvait comporter d’extension et d’intensification des micro-pouvoirs, sous le couvert d’une étatisation illimitée, s’accompagnait de l’exaltation onirique d’un sang supérieur ; celle-ci impliquait à la fois le génocide systématique des autres et le risque de s’exposer soi-même à un sacrifice total. Et l’histoire a voulu que la politique hitlérienne du sexe soit restée une pratique dérisoire tandis que le mythe du sang se transformait, lui, dans le plus grand massacre dont les hommes pour l’instant puissent se souvenir.

Texte 9, pp. 26-27.

« Avant Freud, on cherchait à localiser la sexualité au plus serré : dans le sexe, dans ses fonctions de reproductions, dans ses localisations anatomiques immédiates ; on se rabattait sur un minimum biologique – organe, instinct, finalité. Vous êtes vous dans une position symétrique et inverse : il ne reste pour vous que des effets sans supports, des ramifications privées de racine, une sexualité sans sexe. Castration, là encore ».En ce point, il faut distinguer deux questions. D’un côté : l’analyse de la sexualité comme « dispositif politique » implique-t-elle nécessairement l’élision du corps, de l’anatomie, du biologique, du fonctionnel ? A cette première question je crois qu’on peut répondre non. En tous cas, le but de la présente recherche est bien de montrer comment des dispositifs de pouvoir s’articulent directement sur le corps – sur des corps, des fonctions, des processus physiologiques, des sensations, des plaisirs ; loin que le corps ait a être gommé, il s’agit de le faire apparaître dans une analyse où le biologique et l’historique ne se feraient pas suite, comme dans l’évolutionnisme des anciens sociologues, mais se lieraient selon une complexité croissant à mesure que se développent les technologies modernes de pouvoir qui prennent la vie pour cible. / Non pas donc « histoire des mentalités » qui ne tiendrait compte des corps que par la manière dont on les a perçus ou dont on leur a donné sens et valeur ; mais « histoire des corps » et de la manière dont on a investi ce qu’il y a de plus matériel, de plus vivant, en eux.
Texte 10, pp. 29-30.


Dans la psychiatrisation des perversions, le sexe a été rapporté à des fonctions biologiques et a un appareil anatomo-physiologique qui lui donne son « sens », c'est-à-dire sa finalité ; mais il est aussi référé à un instinct qui, à travers son propre développement et selon les objets auxquels il peut s’attacher, rend possible l’apparition des conduites perverses, et intelligible leur genèse ; ainsi le sexe se définit par un entrelacement de fonction et d’instinct, de finalité et de signification ; et sous cette forme, il se manifeste, mieux que partout ailleurs, dans la perversion-modèle, dans le « fétichisme » qui, depuis 1877 au moins, a servi de fil directeur à l’analyse de toutes les autres déviations, car on y lisait clairement la fixation de l’instinct à objet sur le mode de l’adhérence historique et de inadéquation biologique. Enfin dans la socialisation des pratiques procréatrices, le « sexe » est décrit comme pris entre [je poursuis dès que possible].

Les six textes distingués du corps du texte de l'Appendice.

Vous avez les textes distingués dans le corps du texte ici.
Je mets ci-dessous les textes tels que je les ai distingués séparément.
[PREMIER TEXTE]

Il me suffit pour le moment de poser ce principe dont tout le monde doit convenir, savoir que tous les hommes naissent dans l'ignorance des causes, et qu'un appétit universel dont ils ont conscience les porte à rechercher ce qui leur est utile. Une première conséquence de ce principe, c'est que les hommes croient être libres, par la raison qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leurs désirs, et ne pensent nullement aux causes qui les disposent à désirer et à vouloir. Il en résulte, en second lieu, que les hommes agissent toujours en vue d'une fin, savoir, leur utilité propre, objet naturel de leur désir ; et de là vient que pour toute les actions possibles ils ne demandent jamais à en connaître que les causes finales, et dès qu'ils les connaissent, ils restent en repos, n'ayant plus dans l'esprit aucun motif d'incertitude ; que s'il arrive qu'ils ne puissent acquérir cette connaissance à l'aide d'autrui, il ne leur reste plus d'autre ressource que de revenir sur eux-mêmes, et de réfléchir aux objets dont la poursuite les détermine d'ordinaire à des actions semblables ; et de cette façon il est nécessaire qu'ils jugent du caractère des autres par leur propre caractère. Or, les hommes venant à rencontrer hors d'eux et en eux-mêmes un grand nombre de moyens qui leur sont d'un grand secours pour se procurer les choses utiles, par exemple les yeux pour voir, les dents pour mâcher, les végétaux et les animaux pour se nourrir, le soleil pour s'éclairer, la mer pour nourrir les poissons, etc., ils ne considèrent plus tous les êtres de la nature que comme des moyens à leur usage ; et sachant bien d'ailleurs qu'ils ont rencontré, mais non préparé ces moyens, c'est pour eux une raison de croire qu'il existe un autre être qui les a disposés en leur faveur.


[DEUXIEME TEXTE]

Du moment, en effet, qu'ils ont considéré les choses comme des moyens, ils n'ont pu croire qu'elles se fussent faites elles-mêmes, mais ils ont dû conclure qu'il y a un maître ou plusieurs maîtres de la nature, doués de liberté, comme l'homme, qui ont pris soin de toutes choses en faveur de l'humanité et ont tout fait pour son usage. Et c'est ainsi que n'ayant rien pu apprendre sur le caractère de ces puissances, ils en ont jugé par leur propre caractère ; d'où ils ont été amenés à croire que si les dieux règlent tout pour l'usage des hommes, c'est afin de se les attacher et d'en recevoir les plus grands honneurs ; et chacun dès lors a inventé, suivant son caractère, des moyens divers d'honorer Dieu, afin d'obtenir que Dieu l'aimât d'un amour de prédilection, et fît servir la nature entière à la satisfaction de ses aveugles désirs et de sa cupidité insatiable. Voilà donc comment ce préjugé s'est tourné en superstition et a jeté dans les âmes de profondes racines, et c'est ce qui a produit cette tendance universelle à concevoir des causes finales et à les rechercher. Mais tous ces efforts pour montrer que la nature ne fait rien en vain, c'est-à-dire rien d'inutile aux hommes, n'ont abouti qu'à un résultat, c'est de montrer que la nature et les dieux et les hommes sont privés de raison. Et voyez, je vous prie, où les choses en sont venues! Au milieu de ce grand nombre d'objets utiles que nous fournit la nature, les hommes ont dû rencontrer aussi un assez bon nombre de choses nuisibles, comme les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies, etc. Comment les expliquer ? Ils ont pensé que c'étaient là des effets de la colère des dieux, provoquée par les injustices des hommes ou par leur négligence à remplir les devoirs du culte. C'est en vain que l'expérience protestait chaque jour, en leur montrant, par une infinité d'exemples, que les dévots et les impies ont également en partage les bienfaits de la nature et ses rigueurs, rien n'a pu arracher de leurs âmes ce préjugé invétéré. Il leur a été en effet plus facile de mettre tout cela au rang des choses inconnues dont les hommes ignorent la fin et de rester ainsi dans leur état actuel et inné d'ignorance, que de briser tout ce tissu de croyances et de s'en composer un autre.

[TROISIEME TEXTE]

Son premier défaut, c'est de considérer comme cause ce qui est effet, et réciproquement ; en second lieu, ce qui de sa nature possède l'antériorité, elle lui assigne un rang postérieur ; enfin elle abaisse au dernier degré de l'imperfection ce qu'il y a de plus élevé et de plus parfait. En effet, pour ne rien dire des deux premiers points qui sont évidents d'eux-mêmes, il résulte des propositions 21, 22 et 23, que l'effet le plus parfait est celui qui est produit immédiatement par Dieu, et qu'un effet devient de plus en plus imparfait à mesure que sa production suppose un plus grand nombre de causes intermédiaires. Or, si les choses que Dieu produit immédiatement étaient faites pour atteindre la fin que Dieu se Propose, il s'ensuivrait que celles que Dieu produit les dernières seraient les plus parfaites de toutes, les autres ayant été faites en vue de celles-ci. Ajoutez que cette doctrine détruit la perfection de Dieu ; car si Dieu agit pour une fin, il désire nécessairement quelque chose dont il est privé. Et bien que les théologiens et les métaphysiciens distinguent entre une fin poursuivie par indigence et une fin d'assimilation, ils avouent cependant que Dieu a tout fait pour lui-même et non pour les choses qu'il allait créer, vu qu'il était impossible d'assigner avant la création d'autre fin à l'action de Dieu que Dieu lui-même ; et de cette façon, ils sont forcés de convenir que tous les objets que Dieu s'est Proposés, en disposant certains moyens pour y atteindre, Dieu en a été quelque temps privé et a désiré les posséder, conséquence nécessaire de leurs principes. N'oublions pas de faire remarquer ici que les sectateurs de cette doctrine, qui ont voulu faire briller leur esprit dans l'explication des causes finales des choses, ont inventé, pour établir leur système, un nouveau genre d'argumentation, lequel consiste à réduire son contradicteur, non pas à l'absurde, mais à l'ignorance ; et cela fait bien voir qu'il ne leur restait plus aucun moyen de se défendre.

[QUATRIEME TEXTE]

Les hommes ont donc appelé tout ce qui sert à la santé et au culte de Dieu le Bien, et le Mal tout ce qui peut y nuire. Or, comme ceux qui ne comprennent pas la nature des choses n'ont jamais pour objet de leurs affirmations les choses elles-mêmes, mais seulement les images qu'ils s'en forment, et confondent les données de l'imagination et celles de l'entendement, ils croient fermement que l'ordre est dans les choses, étrangers qu'ils sont à la réalité et à leur propre nature. S'il arrive, en effet, que les objets extérieurs soient ainsi disposés que quand les sens nous les représentent nous les imaginions aisément, et par suite nous les puissions rappeler avec facilité, nous disons que ces objets sont bien ordonnés ; mais si le contraire arrive, nous les jugeons mal ordonnés et en état de confusion. Or, les objets que nous pouvons imaginer avec aisance nous étant les plus agréables, les hommes préfèrent l'ordre à la confusion, comme si l'ordre, considéré indépendamment de notre imagination, était quelque chose dans la nature. Ils prétendent que Dieu a tout crée avec ordre, ne voyant pas qu'ils lui supposent de l'imagination ; à moins qu'ils ne veuillent, par hasard, que Dieu, plein de sollicitude pour l'imagination des hommes, ait disposé les choses tout exprès pour qu'ils eussent moins de peine à les imaginer, et certes, avec cette manière de voir, on ne s'arrêtera pas devant cette difficulté, qu'il y a une infinité de choses qui surpassent de beaucoup notre imagination, et une foule d'autres qui la confondent par suite de son extrême faiblesse.

[CINQUIEME TEXTE]

Persuadés en effet que les choses ont été faites pour eux, ils pensent que la nature d'un être est bonne ou mauvaise, saine ou viciée et corrompue, suivant les affections qu'ils en reçoivent. Par exemple, si les mouvements que les nerfs reçoivent des objets qui nous sont représentés par les yeux contribuent à la santé du corps, nous disons que ces objets sont beaux ; nous les appelons laids dans le cas contraire. C'est ainsi que nous appelons les objets qui touchent notre sensibilité, quand c'est à l'aide des narines, odorants ou fétides ; à l'aide de la langue, doux ou amers, sapides ou insipides, etc. ; à l'aide du tact, durs ou mous, rudes ou polis, etc. Enfin on a dit que les objets qui ébranlent nos oreilles émettent des sons, du bruit, de l'harmonie, et l'harmonie a si fortement enchanté les hommes, qu'ils ont cru qu'elle faisait partie des délices de Dieu. Il s'est même rencontré des philosophes pour s'imaginer que les mouvements célestes composent une certaine harmonie. Et certes tout cela fait assez voir que chacun a jugé des choses suivant la disposition de son cerveau, ou plutôt a mis les affections de son imagination à la place des choses. C'est pourquoi il n'y a rien d'extraordinaire, pour le dire en passant, que tant de controverses aient été suscitées parmi les hommes, et qu'elles aient abouti au scepticisme. Car bien que les corps des hommes aient entre eux beaucoup de convenance ils diffèrent par beaucoup d'endroits, de telle sorte que ce qui paraît bon à l'un semble mauvais à l'autre, ce qui est bien ordonné pour celui-ci est confus pour celui-là, ce qui est agréable à tel ou tel est désagréable à un troisième, et ainsi pour mille autres choses que je néglige de citer ici, soit parce que ce n'est pas le moment d'en traiter ex professo, soit parce que tout le monde est assez éclairé sur ce point par l'expérience. On répète sans cesse : " Autant de têtes, autant d'avis ; tout homme abonde dans son sens ; il n'y a pas moins de différence entre les cerveaux des hommes qu'entre leurs palais " : toutes ces sentences marquent assez que les hommes jugent des choses suivant la disposition de leur cerveau et exercent leur imagination plus que leur entendement.
[SIXIEME TEXTE]

Car si les hommes entendaient vraiment les choses, ils trouveraient dans cette connaissance, sinon un grand attrait, du moins (les mathématiques en sont la preuve) des convictions unanimes. Nous voyons donc que toutes les raisons dont se sert le vulgaire pour expliquer la nature ne sont que des modes de l'imagination, qu'elles ne marquent point la nature des choses, mais seulement la constitution de la faculté d'imaginer ; et comme ces notions fantastiques ont des noms qui indiquent des êtres réels, indépendants de l'imagination, je nomme ces êtres non pas êtres de raison, mais êtres d'imagination ; et cela posé, il devient aisé de repousser tous les arguments puisés contre nous à pareille source. Plusieurs en effet ont l'habitude de raisonner de la sorte : si toutes choses s'entre-suivent par la nécessité de la nature souverainement parfaite de Dieu, d'où viennent tant d'imperfections dans l'univers ? par exemple, ces choses qui se corrompent jusqu'à l'infection, cette laideur nauséabonde de certains objets, le désordre, le mal, le péché, etc. Tout cela, dis-je, est aisé à réfuter ; car la perfection des choses doit se mesurer sur leur seule nature et leur puissance, et les choses n'en sont ni plus ni moins parfaites pour charmer les désirs des hommes ou pour leur déplaire, pour être utiles à la nature humaine ou pour lui être nuisibles. Quant à ceux qui demandent pourquoi Dieu n'a pas crée tous les hommes de façon à ce qu'ils se gouvernent par le seul commandement de la raison, je n'ai pas autre chose à leur répondre sinon que la matière ne lui a pas manqué pour créer toutes sortes de choses, depuis le degré le plus élevé de la perfection, jusqu'au plus inférieur ; ou, pour parler plus proprement, que les lois de sa nature ont été assez vastes pour suffire à la production de tout ce qu'un entendement infini peut concevoir.

Les instructions officielles pour l'épreuve orale.

II - Épreuve orale de contrôle : Le candidat présentera à l'examinateur la liste des œuvres philosophiques dont l'étude est obligatoire. Cette obligation s'impose à tous les candidats, qu'ils soient élèves d'un établissement ou candidats libres. La liste présentée par les élèves d'un établissement d'enseignement sera signée par le professeur, visée par le chef d'établissement et annexée au livret scolaire. Les œuvres philosophiques seront rigoureusement choisies dans les conditions fixées par le programme en vigueur. Lorsqu'une des œuvres aura été étudiée seulement dans certaines de ses parties, la délimitation précise de celles-ci sera explicitement indiquée. Le candidat sera porteur d'un exemplaire de chacun des ouvrages figurant sur la liste. Il est rappelé que le programme fixe pour chaque série, le nombre des œuvres philosophiques dont l'étude est obligatoire, ainsi que les modalités du choix des auteurs. L'épreuve orale portera obligatoirement sur l'une des œuvres présentées, dont un bref fragment devra être expliqué. Au cours de l'entretien, toute notion du programme pourra éventuellement faire l'objet d'une interrogation distincte ou, si possible, en liaison avec l'étude du texte. Au cas où le candidat, en contravention avec les dispositions réglementaires, ne présente aucune liste, ou présente une liste qui, n'étant pas conforme au programme, ne lie pas l'examinateur, il est recommandé à celui-ci de fournir au candidat deux ou trois œuvres, le candidat choisit l'une d'entre elles, dont il lui est demandé d'expliquer un bref fragment. Compte tenu des obligations fixées par le programme et des présentes instructions, l'interrogation devra essentiellement permettre au candidat de tirer parti de sa culture, de ses qualités de réflexion, des lectures qu'il a pu faire au cours de l'année. Dans toutes les séries, l'interrogation durera vingt minutes afin de permettre au candidat de montrer ses possibilités ; il disposera de vingt minutes environ pour la préparer.