Je vous rappelle que ce texte est cité et commenté en cours en rapport avec le § 2 de Qu'est-ce que les Lumières ?
"Chez kant, l'histoire fait partie de la nature ; son sujet est l'espèce humaine entendue comme élément de la création, même si elle en est, pour ainsi dire, la fin ultime et le couronnement. Ce qui est important dans l'histoire, dont il ne négligea jamais le cours tâtonnant et l'attristante contingence, ce ne sont pas les histoires, ce ne sont pas les individus historiques, ni rien de ce que les hommes ont accompli en bien ou en mal, mais la ruse secrète de la nature qui a poussé l'espèce à progresser et à développer toutes ses potentialités dans la suite des générations. La durée d'une existence individuelle est trop brève pour qu'elle puisse déployer toutes les qualités et toutes les possibilités humaines ; par conséquent, l'histoire de l'espèce est le processus au cours duquel "tous les germes que la nature a placés en elle pourront être pleinement développés et où sa destiné ici-bas sera pleinement remplie" (Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique). Telle est l'"histoire du monde", envisagée par analogie avec le développement organique de l'individu - l'enfance, l'adolescence, la maturité. Kant ne s'intéresse jamais au passé ; ce qui le préoccupe, c'est le futur de l'espèce. L'homme n'est pas chassé par un Dieu vengeur parce qu'il a commis le péché, il est poussé par la nature qui l'exile du sein maternel et le chasse ensuite hors du jardin d'Eden, de l'"existence d'innocence enfantine tranquille" (Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine). Tels sont les débuts de l'histoire ; son processus est le progrès, et le résultat de ce processus est parfois appelé culture, parfois liberté ("de la tutelle de la nature à l'état de liberté" ibid.) ; une fois seulement, comme en passant, dans une parenthèse, Kant indique qu'il s'agit d'accomplir "la fin essentielle de la destinée humaine, à savoir la sociabilité (Geselligkeit)". Hannah ARENDT, Juger. Sur le philosophie politique de Kant. pp. 23-24.